- TROUVER DES POCHES DE LIBERTÉ: UNE ILLUSTRATION MUSICALE -
Le 21 Novembre 2017, J’ai écrit un article intitulé “ADDICTION, TROUBLES OBSESSIFS COMPULSIFS (TOC) ET YOGA: UNE PERSPECTIVE PEU ORTHODOXE -”. Dans cet article, je propose un cadre qui - selon moi - fournit un point de départ intéressant pour éclairer un certains nombres d’addictions et de troubles obsessionnels compulsifs.
En un mot, je suggère qu’un comportement systématique répétitif trouve ses racines dans l’échec total pour un individu à recevoir de son environnement sécurité, confort et affection durant les six premières années de sa vie. L’adulte en croissance tentera en conséquence de compenser ce manque douloureux en inventant ou en créant des routines de certitude artificielles: elles vont de l’abus de substances aux troubles obsessionnels compulsifs (anorexie, boulimie, consommation industrielle de sexe, workaholism, jeu, trading des marchés financiers, hygiène maladive, motifs de communication mono-maniaques et une infinité de media d’expression toxique).
Le premier pas vers la liberté est de reporter le rythme toxique vers un domaine qui construit de la vitalité, de la santé et de bonnes relations à autrui: pratiquer le yoga ou une activité physique de pleine conscience, la création artistique, ou toute forme de religiosité ou spiritualité dévotionelle sont des vecteurs positifs de canalisation de l’énergie de tension infinie qui trouve sa source dans ce que j’appelle le ‘trou noir émotionnel’.
Ce premier pas n’est rien d’autre qu’un report. La victime est toujours prisonnière. Elle a juste réussi à déplacer un motif qui ne lui rendait pas service (à elle et dans le cadre de ses relations) vers un autre qui lui procure des bénéfices positifs. Mais à l’intérieur, le sentiment de manque de liberté demeure, inchangé, et les attaques de découragement, dépression, et retours en arrière dans les profondeurs noires et humides du trou noir émotionnel se reproduisent.
C’est seulement en trouvant de la liberté dans la forme fixe, la structure immuable de l’addiction positive que la magie de l’Esprit peut être retrouvée, et une nouvelle fraîcheur permise à l’honnête “chercheur”, à défaut d’un autre terme. Ça sonne cryptique, et il n’y a pas de mode d’emploi. J’espère réussir à articuler mon propos ci-dessous.
les personnages
Philip Glass
Sans rentrer dans les détails, Philip Glass, photographié ci-dessus est selon moi un exemple parfait de compositeur obsessionnel compulsif à tendance psychopathique qui a choisi la musique comme moyen spécifique de transmutation de la douleur. Je ne sais rien de l’homme au-delà de ce qui peut être lu sur lui online, ses interviews ou sa musique. Mais en paraphrasant la légende de la photo, né en 1937, il est amplement considéré comme un des musiciens les plus influents de la fin du XXème siècle. Le travail de Glass est décrit comme étant de la musique minimaliste. Glass se décrit lui-même comme un compositeur de “musique à structure répétitive”, dont il a contribué à faire évoluer le style. Personnellement, je trouve ses créations sublimes. Dans le fonds, la totalité de son travail est une variation sur la même pièce.
A cet égard, il me rappelle un autre artiste auquel j’ai pensé afin d’illustrer cet article: Keith Jarrett. Je recommande au lecteur le visionnage du troublant “Keith Jarrett: the art of improvisation”, pour comprendre à travers un angle d’approche orthogonal les idées évoquées dans cet article. Keith Jarrett, au sommet de son génie musical et de son expressivité a traversé une terrible dépression ou burnout, il est difficile de trouver un terme adéquat. J’ai mis des années à comprendre comment et pourquoi. Il me semble que je l’intuite à présent. Malheureusement, je me sens trop proche de Keith Jarrett en appareillage psychologique pour être suffisamment objectif et émotionnellement détaché pour écrire quelque chose d’intelligent et d’informatif.
Comme la photo le démontre facilement, l’intensité du regard scrutateur est un bon indice pour déceler l’existence de toutes les tendances mentionnées ci-dessus chez un sujet.
L’etude NO.6 pour piano de glass
Pièce courte pour piano d’environ quatre minutes, cette fugue sous pression de notes jouées en staccato rapide procure une sensation obsédante, seulement apaisée par la belle trame harmonique et le lyrisme des lignes mélodiques. Néanmoins, il devrait être apparent que Glass a réussi à créer de la magie et de la sensibilité dans un matériel absolument répétitif et mécanique. C’est son moyen idiosyncrasique de transcender et sublimer le déterminisme, et je suis totalement convaincu. Reste à interpréter ce petit bijou.
VÍKINGUR ÓLAFSSON AND MAKI NAMEKAWA
Víkingur Ólafsson est un pianiste islandais. Il a joué avec des orchestres européens et américains et a remporté de nombreux prix, dont quatre prix d'interprète de l'année aux Icelandic Music Awards et le prix Icelandic Optimism. Víkingur Ólafsson a grandi à Reykjavík et a commencé très tôt à jouer du piano sous la tutelle de sa mère, professeur de piano. Il a étudié à la Juilliard School de New York, où il a obtenu un baccalauréat et une maîtrise sous la direction de Jerome Lowenthal et Robert McDonald. .[Wikipédia]
Namekawa étudie à l'Académie de musique Kunitachi de Tokyo avec Mikio Ikezawa et au Conservatoire de Paris avec Henriette Puig-Robet et reçoit en 1994 le prix japonais Leonid Cruiser. À partir de 1995, elle est élève de Werner Genuit et Kaya Han à la Hochschule für Musik Karlsruhe et mène également des études privées avec Edith Picht-Axenfeld, György Kurtág, Pierre-Laurent Aimard et Florent Boffard. Après l'examen de soliste, elle a finalement étudié la musique nouvelle avec Stefan Litwin à la Musikhochschule Saarbrücken et Pierre-Laurent Aimard à la Hochschule für Musik Köln. [Wikipedia]
la liberté (est affaire de goût ?)
Les deux interprétations disponibles au sommet de l’article sont stellaires pour moi. Il est également intéressant de constater qu’elles sont très différentes. Pourrait-il en être autrement, venant d’un jeune viking et d’une dame japonaise un peu plus mûre: de vastes différences d’âge, de culture, de genre et une myriade d’autre quasiment certainement.
Pour le plaisir de cette conversation, envisageons l’étude de piano No.6 comme si c’était la série primaire d’Ashtanga Yoga: une forme répétitive fixe avec une poignée de gros blocs (surya namaskars, poses debout, assises, séquence finale) devant être réalisée par un praticien interprète. En écoutant attentivement la pièce musicale, nous pouvons constater des blocs similaires dans la séquence d’événements musicaux proposée par Philip Glass.
Parfois, il m’arrive d’observer des yogis en train d’executer la série primaire, et ça me fait penser douloureusement à une époque où je pratiquais avec excès d’énergie et de tension. Aujourd’hui encore, cela m’arrive régulièrement, d’essayer de façon trop prononcée. Il y a une urgence, une tension dans la pratique qui annule totalement son essence propre. Ça va un peu trop vite. Je suis trop concentré et ne prends pas assez de plaisir à la pratique, dans une forme de masochisme malsain. Après tout, le Yoga, comme la musique, sont des activités profondément sensuelles qui nous permettent de nous connecter à des vibrations fondamentales, la Musica Universalis, dans le macrocosme comme dans le microcosme. Je joue également du piano. Comme dans tout le corps lorsque nous pratiquons le yoga, il peut résider des tensions dans les doigts de l’interprète qui étoufferont et raidiront le déploiement du plein son de la note. La plupart du temps, cette tension résiduelle naît d’un besoin inconscient d’exister à travers l’oeil/oreille de l’autre, plutôt que de développer une relation intime avec la forme fixée elle-même. Un autre terme pour décrire cette tendance générique est la cupidité: la cupidité en Ashtanga serait de désirer achever toutes les séries parfaitement en vue d’un objectif sans jamais trouver sa propre voie/voix, pire encore, en s’en et en la remettant totalement à un guru auto-proclamé et sévèrement limité (ou vouloir être milliardaire sans se préoccuper réellement de comment et pourquoi pour utiliser une analogie facile à comprendre, sous le tutelage d’un gourou appelé le capitalisme néolibéral).
D’autre fois, je regarde une praticienne ajouter une voix et une sensibilité uniques à la série primaire: comme tout matériau brut de créativité, comme les étoffes de la créatrice de mode, la praticienne semble s’emparer de la proposition de la forme fixée de la série primaire, et y ajoute une couleur tout à fait spéciale. Il est impossible de regarder cette chorégraphie sans se trouver boulversé et hypnotisé. Peut-être qu’elle ralenti un peu le rythme. Peut-être que j’aperçois dans ses yeux le plaisir, sensuel, presque sexuel qui vient de l’engagement et la prise avec la forme fixe: c’est une autre façon de faire l’amour après tout. Les notes, les asanas, ont un peu plus de temps pour mûrir, se déployer. Une sémantique cachée émerge du vocabulaire partagé et commun des notes, des asanas, et on ne comprend plus seulement différemment, mais aussi avec un sentiment émergent. L’Amour peut-être ?… C’est l’incroyable différence qu’il y a entre venir de la tête, et venir de tout son Être.
Les deux pièces musicales sont belles à écouter, ne nous méprenons pas. Finalement, à chacun sa sensibilité et ses orientations.
Pour terminer, le clin d’oeil du titre de ce paragraphe (où liberté remplace beauté) suggère également, et c’est une réalisation que l’auteur de cet article est à peine en train d’actualiser… En France, un des sujets du Bac Philo qui fait trembler les étudiants, c’est la question de la Liberté. C’est quoi ? Est-on libre ? Bla Bla Bla
Cette conversation n’existe pas. Elle est entre nous et nous.
Et même ça, qu’est-ce que ça veut dire?
All is ☝️